« Lorsque nous avons décidé de remettre l’usine en marche à notre propre compte, une écrasante majorité des travailleurEs y a été favorable »
«
Lorsque nous avons décidé de remettre l’usine en marche à
notre propre compte, une écrasante majorité des travailleur-Es
y a été favorable »
NPA 8 avril 2018
Entretien. Nous avons
rencontré Makis Anagnostou (membre du collectif des travailleurs
de Vio.Me) et Marco Gastine (producteur du film Prochain Arrêt :
Utopia) pour discuter avec eux de l’expérience de Vio.Me, une
usine qui était menacée de fermeture par la crise grecque et que
les travailleurEs, regroupés en collectif, on reprise en main.
Pouvez-vous
brièvement raconter l’histoire de votre entreprise (grève,
occupation, réouverture d’usine, etc.) ?
Les problèmes de Vio.Me,
la petite entreprise de fabrication de colle pour carrelages
située à Thessalonique, dans laquelle nous travaillons, ont
commencé avec le début de la crise grecque en 2009 et
l’effondrement du secteur du bâtiment. La direction de
l’entreprise, volant au secours de la maison-mère, la fabrique
multinationale de carreaux de céramique Philkeram-Johnson, en
difficulté, a alors transféré une grosse partie de son capital à
celle-ci. Elle en a fait payer le contrecoup à nous, ses
ouvrierEs : suppression des primes, mise en disponibilité,
licenciements et retard dans le paiement des salaires… En même
temps, le bruit courait que l’usine allait fermer et que la
direction amassait autant d’argent qu’elle le pouvait dans cette
perspective. Nous en avons eu la preuve : elle ne payait plus ses
fournisseurs de services (électricité, gaz, eau).
Dans l’usine il y avait
une organisation syndicale, le syndicat des ouvriers de Vio.Me,
qui avait une philosophie différente de celle des syndicats
traditionnels : faire participer à l’action et aux prises de
décision, non seulement ses membres, mais aussi touTEs les
travailleurEs de l’usine. Cette philosophie a été mise en pratique
lorsque la direction de l’entreprise a proposé au syndicat de
négocier. Les patrons ont alors fait diverses propositions à la
délégation du syndicat. Mais, au lieu de répondre immédiatement au
nom de leurs adhérentEs comme le font d’habitude les directions
syndicales, la délégation est retournée devant les travailleurEs
de l’usine et leur a demandé de cesser le travail pour débattre
des propositions de la direction. Ainsi tous les travailleurEs ont
assumé la décision qui a été prise d’occuper l’usine. Ce mode de
fonctionnement a permis à tout le monde de partager la
responsabilité des décisions et de s’impliquer dans l’action.
Ainsi, lorsque nous avons décidé en 2013, après un an
d’occupation, de remettre l’usine en marche à notre propre compte,
une écrasante majorité des travailleurEs y a été favorable.
Comment s’est
déroulée la remise en marche ?
Auparavant, au vu des
énormes retards de paiement des salaires, nous avions fait usage
du droit de rétention (suspension du travail, accompagnée d’une
indemnité financée par les revenus de l’entreprise), octroyé par
la législation grecque aux travailleurEs en cas de non-paiement
prolongé des salaires. Ceci nous a permis d’avoir une petite
rémunération, de rester dans l’usine et de contrôler les ventes
afin que la direction ne puisse profiter de celles-ci à nos
dépens. Puis, voyant que la prime de rétention touchait à sa fin
et qu’en conséquence nous n’aurions plus aucune source de revenus,
nous avons fait appel à la solidarité à Thessalonique et alentour,
pour assurer notre subsistance. Cela nous a permis, non seulement
de recueillir suffisamment de nourriture pour tenir un bon bout de
temps, mais également de rencontrer beaucoup de monde sur lequel
nous nous sommes par la suite appuyé pour continuer notre lutte.
De concert avec nos nouveaux amis, de membres de collectifs locaux
et de militantEs politiques et syndicaux, nous avons créé un large
comité de soutien à la lutte Vio.Me. Nous avons par la suite
étendu le réseau de solidarité à l’ensemble de la Grèce et aussi
en Europe.
Ceci nous a donné le
courage de passer à la remise en marche de l’usine. Peu après la
remise en état de l’outil de production, nous avons compris que
les colles pour carrelages que l’entreprise produisait auparavant
ne pourraient plus s’écouler sur le marché, vu l’effondrement du
secteur du bâtiment. Nous avons alors décidé, sur les conseils du
comité de solidarité, de nous lancer dans la production de
nouveaux produits, des savons liquides et autres produits
d’entretien naturels, puis des savons de Marseille. Ceux-ci
répondaient aux besoins d’une grande partie de la population qui,
en raison de la crise, avait beaucoup de difficultés à se les
procurer à un prix raisonnable dans les supermarchés.
La production a
réellement commencé en février 2013. En 2016, nous nous sommes
lancés dans la production d’une version écologique de ces
produits, avec l’aide d’un ingénieur chimiste solidaire. C’est
ainsi que nous avons réussi à maintenir l’usine en activité. La
production nous permet aujourd’hui de toucher un salaire, égal
pour tous. Son montant est encore très modeste, mais nous sommes
persuadés qu’une fois l’entreprise pleinement légalisée, les
entraves à la production seront levées. Nous pourrons alors
toucher un salaire plus décent que celui auquel le capital
européen et mondial nous condamne actuellement. Dans le même
temps, nous essayons de créer (avec d’autres travailleurEs et des
étudiantEs) les conditions d’une autre économie, d’une « économie
des travailleurEs ». Nous venons par exemple d’ouvrir un
« dispensaire ouvrier » autogéré s’adressant à toute la population
alentour.
Existe-t-il
d’autres exemples d’usines occupées et/ou autogérées en
Grèce ?
D’autres usines ont été
occupées et les ouvrierEs ont essayé d’entrer dans un processus
similaire au nôtre, comme la SEKAP (Coopérative hellénique des
tabacs) ou les ciments Halkis. Mais l’État et la bureaucratie
syndicale qui contrôlent encore largement la classe ouvrière
grecque ont réussi à mettre des embûches et à faire échouer de
telles expériences. En revanche, il existe en Grèce de nombreuses
expériences de collectifs ou de coopératives autogérées
fonctionnant sur les mêmes principes que les nôtres : égalité
totale, solidarité et démocratie directe.
Quels sont
les exemples de solidarité en Grèce et dans le monde ?
Nous avons des contacts
avec divers mouvements en Grèce et à l’étranger. Notre lutte est
coordonnée avec celle des habitantEs de Chalcidique qui se sont
insurgés contre l’exploitation minière aurifère dans leur région,
avec celle de sections syndicales qui croient encore en la classe
ouvrière et de militantEs dévoués à la défense d’une société
durement touchée par la crise. Nous avons des contacts avec des
militantEs en Allemagne, des usines en Italie, des mouvements
sociaux en Espagne, et les travailleurEs des usines récupérées
d’Argentine, du Chili et d’Uruguay.
Quelles ont
été les réactions des partis politiques et du gouvernement en
Grèce ?
Nous nous sommes d’abord
adressés au Parti communiste grec (KKE) où nous nous sommes vu
répondre que le parti était en complet désaccord avec la
philosophie de notre lutte, mais qu’il lui apporterait tout de
même son soutien en tant que conflit du travail. Mais ils n’ont eu
de cesse depuis lors de nous combattre en pratique et en théorie.
Syriza a formellement décidé de nous soutenir lors de son congrès,
mais en pratique son gouvernement en a fait le moins possible et
n’a jamais appliqué ses promesses électorales de légaliser notre
entreprise. Nous sommes par contre soutenus par une grande partie
de la gauche extraparlementaire et de la mouvance anarchiste. Nous
avons discuté avec tous les gouvernements qui se sont succédé ces
six dernières années, aucun ne s’est déclaré opposé à nous, mais
aucun n’a fait quoi que ce soit pour nous.
Avec qui
êtes-vous en contact en France et comment peut-on vous aider ?
Nous sommes en contact
étroit, dans votre pays, avec l’usine Fralib, ainsi qu’avec le
mouvement contre l’aéroport de Notre-dame-des-Landes. Nous pensons
que, dans un premier temps, il faut exiger du gouvernement grec
qu’il résolve le problème du terrain sur lequel est implanté
l’usine Vio.Me et qui est menacé d’être vendu aux enchères à des
investisseurs privés. On peut également faire voter des motions de
soutien par les syndicats et, enfin, faire connaître la lutte de
Vio.Me dans les diverses organisations de travailleurEs pour
réaliser des commandes collectives de nos produits (savons de
Marseille ou produits d’entretien écologiques) afin de nous
soutenir financièrement. Nous pensons que si vous pouviez faire
cela, vous aideriez grandement notre lutte, et que vous
contribueriez ainsi à rapprocher toutes celles et tous ceux qui
luttent pour leurs droits. Dans le but de construire une nouvelle
société, une société dans laquelle les humains compteront plus que
les profits.
Propos
recueillis par Alain Krivine
Le film vient de sortir
en salle en France et est disponible pour des réunions/ventes de
solidarité : www.filmsdesdeuxrives.com/